15- Et pour le Nucléaire?
De toutes les personnes assises autour de la table, la moins diplômée était le président des Etat-Unis lui-même. De très très loin; du moins si on ne tient pas en compte les faux diplômes.
De ces seize personnes qui avaient prêté serment de servir le pays, une seule avait été condamnée par sa justice. Don Ivel se servit copieusement de son malheur durant sa campagne présidentielle pour dénoncer un système judiciaire injuste qui condamne prioritairement et cruellement les innocents et les plus faibles. Et il fut élu.
La pièce n’avait pas de fenêtres, les téléphones portables n’étaient pas autorisés, des militaires armés jusqu’aux dents se tenaient debout à chaque coin et devant l’unique porte, elle-même blindée.
Don Ivel était assis à une extrémité de la longue table rectangulaire. Il affectionnait les longues tables rectangulaires car elles permettaient immédiatement de comprendre qui était aux commandes, qui contrôlait les autres. Il suffisait de s’assoir à une extrémité de la table et d’interdire tout siège à l’autre extrémité.
Son siège était confortable et grand; plus grand que ceux des autres. Encore un autre signe distinctif qu’il cultivait, subtil, mais immédiatement reconnaissable par tous ceux qui travaillaient avec le président des Etats-Unis.
Face au complexe d’infériorité suscité par les impressionnants grades militaires épinglés sur les vestes de ses ‘’invités’’, Ivel avait fait en sorte que reposent sur la table des exemplaires du magazine Forbes sur lesquels lui et sa fortune d’un milliard s’affichaient en couverture.
— Inutile de vous rappeler que ceci est une réunion informelle, et que ce qui se dira ici, devra rester ici, il dit d’un ton amical.
Tous hochèrent la tête.
— Nous sommes réunis aujourd’hui car nous faisons face à un problème que nous n’avions pas anticipé, et c’est un gros problème.
— Personne n’aurait pu anticipé ce virus, excusa Jamie Enron, président de BitBank, premier groupe bancaire américain.
— Le virus n’est plus LE problème Jamie. On va tous mourir, point! rétorqua le Président, condescendant. A moins que tu ai un remède miracle; mais j’en doute, car tu aurais déjà cherché à te faire quelques milliards sur le dos du peuple et du gouvernement américain.
— Et tu aurais pris ta commission, comme d’habitude.
Un froid s’installa dans la pièce: les dos se raidirent, les regards se croisèrent du coin des yeux. On aurait pu entendre une mouche voler si celle-ci avait réussie à passer la sécurité.
— L’incertitude.
Toutes les têtes se tournèrent vers une jolie jeune femme blonde aux allures de mannequins, assise au milieu de la table. Athéna, elle s’appelait, elle avait trente ans et était la fille unique du président.
— Exact! dit Ivel, en offrant à sa fille un sourire, léger mais qui exprimait beaucoup. Jamie, tu as de la chance qu’Athéna ai refusé de travailler pour BitBank, car personne ici n’aurait de peine à imaginer qui en serait le président aujourd’hui.
Enron fusilla Ivel du regard. La contraction des muscles de sa mâchoire témoignait à tous de l’affection qu’il avait pour le président.
— Il n’y rien que nous détestons plus que l’incertitude, reprit Athéna. Car c’est la certitude qui a fait de NOUS les vainqueurs que nous sommes. La certitude dans NOS valeurs, dans NOS idées, dans NOS actions. La certitude, c’est ce phare à l’horizon qui NOUS garantit d’arriver à destination sains et saufs, quelque soit la tempête.
— Jusqu’il y a peu, enchaîna Ivel, notre puissance militaire aux quatre coins du monde suffisait à étouffer dans l’œuf la moindre menace d’incertitude. L’œuf a éclos? On tue le poussin. Le poussin survit? On enlève les graines. Mais il y a aujourd’hui une nouvelle incertitude, la plus dangereuse que nous ayons jamais rencontrée.
— Et qui serait? demanda Enron.
— Le juge Alexis Justice III, dit le général John Mc Allister.
— Expliquez, demanda Jenifer Walton, soixante cinq ans, héritière et milliardaire des laboratoires pharmaceutiques Walton-Fisher.
— La croissance exponentielle de son intelligence artificielle a atteint un niveau tel que tous nos modèles mathématiques prédisent qu’il aura accès à l’entier arsenal militaire des Etats-Unis d’ici cinq ans, dit le général.
— Mais nous serons tous morts, remarqua Jennifer Walton.
— Pas mes enfants, rétorqua Athéna Ivel. Pas NOS enfants, elle ajouta en plongea son regard dans celui de Lucie Zack, trente huit ans et chef du département Intelligence Artificielle de Google Lab.
Lucie Zack avait elle aussi deux enfants, deux magnifiques gamines métissées de dix et treize ans. Lucie Zack témoignait tous les jours son incommensurable amour pour ses filles en inondant Instagram de leurs photos. Ses filles étaient son ultime raison de vivre. Et Athéna suivait Lucie Zack sur Instagram.
— Ne pouvons-nous déconnecter d’internet notre arsenal militaire, tout simplement? demanda Al Missouri, CEO d’ElliWorld, le plus grand réseau immobilier des Etats-Unis, et milliardaire.
— Le problème n’est pas l’arsenal que nous possédons, mais l’arsenal que nous ne possédons plus, dit Douglas Clinton, patron de la CIA.
— Vous ne pouvez pas les retrouver et les pirater? N’êtes-vous pas les rois de l’espionnage à la CIA? Où est-ce que vous avez perdu la main face aux chinois? s’agaça Missouri.
— Je te conseille de baisser d’un ton, Al, menaça Clinton.
— Si je comprends bien, intervint Enron, pour ‘’sauver’’ nos enfants, on doit se débarrasser au plus vite de nos armes nucléaires avant que le juge intelligent n’en prenne contrôle. Mais même si on y arrive, nos enfants sont dans la merde parce que la CIA a perdu la trace de celles qu’elle a vendues en douce.
— Avec la complicité de BitBank je te rappelle, ironisa Clinton.
— Oui, mais nous au moins on ne l’a pas perdu cet argent, rétorqua Enron.
— Messieurs, on se calme! dit Ivel. Inutile de rajouter à ce problème un nouveau problème. John, quelles sont nos options?
— Nous faisons de notre mieux pour déconnecter du réseau internet le plus d’armes possible. Mais même dans nos meilleurs estimations, étant donné que nous perdons du personnel tous les jours, il restera entre dix et vingt pour-cent d’armes encore connectées lorsqu’il n’y aura plus d’adultes.
— Putain, John! s’exclama Missouri. J’ai dix petits enfants!
— Et moi douze! coupa le général, impératif. Il fusillait du regard Missouri et attendait que ce dernier baisse le sien pour continuer. Au delà de la question nucléaire, se pose la question des armes légères et lourdes, des munitions et des instruments de contrôle et de navigation. Si nous devons empêcher les civils d’avoir accès aux tanks, missiles, mirages et autres armes lourdes, que faisons-nous des armes légères comme les fusilles automatiques, pistolets, grenades, et autres?
— Simple, nous armons les enfants, dit Missouri.
— Hors de question de laisser des armes aux enfants! s’écria Athéna.
— Vous êtes malade, enchaîna Lucie Zack. Toutes les armes doivent être détruites.
— Hola Hola! intervint Adam Smith, plus grand propriétaire foncier du pays. Et comment mes enfants et petits enfants vont protéger les ranches que je vais leur laisser?
— Et comment on va garder les frontières sans armes? demanda à Lucie Zack Donald Armitage, plus grand propriétaire agricole de Californie.
— ASSEZ! cria Ivel. ASSEZ! Je vous regarde vous battre et c’est à se demander si ce virus n’est pas en train de rendre service aux enfants. La seule question qui compte et qui justifie que nous nous retrouvions là est: est-ce que vous voulez sauvez tous les enfants ou vos enfants d’abord? Et il n’y a qu’une seule bonne réponse.