8- LA LA LAND

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La dernière fois que Los Angeles avait ‘’honoré’’ ma présence, le ciel était bleu, pur et immaculé, celui qu’on aime à admirer et à s’y noyer. Le sable de Santa Monica était chaud et la conférence écologique à laquelle j’étais invitée n’était que dans deux heures. J’avais demandé à ce que la sécurité ne me suive pas sur la plage, j’avais besoin d’être seule. Cinq milles personnes avaient payé entre cinquante et deux cents dollars pour voir une gamine de quatorze ans leur rappeler que si les politiques écologiques mondiales continuaient d’être insuffisantes, la fin du monde était proche. Sur scène, je leur disais qu’on pouvait encore le sauver, mais seule sur la plage, je savais qu’il était trop tard. 

Allongé sur le sable, si vous fixez le ciel suffisamment longtemps, vous finissez par avoir la sensation de quitter votre corps, d’être aussi légère qu’une plume, à la merci des courants d’air. Vous vous abandonnez car il n’y a plus rien d’autre à faire; une libération du corps et de l’esprit, enfin. L’eau n’était qu’à quelques mètres. J’aurais voulu m’y noyer mais les sauveteurs m’auraient sauvée. Me noyer dans le ciel bleu était la seule consolation, en attendant la consolation finale. 

Cinq milles personnes en quête d’inspiration, d’espoir ou d’un nouveau prophète m’avaient applaudie et encouragée à poursuivre mon combat alors que je venais de leur mentir. Je me suis tellement haïe… Mentir et se faire applaudir sans aucun remord: il n’y a que les politiciens capable de telles perversions. Parasites!

Los Angeles aurait été un enfer pour moi sans son ciel bleu pur et immaculé, et il allait me sauver de nouveau. Sauf qu’il n’est plus aussi bleu deux ans plus tard: c’est quoi ces étranges colonnes de fumée à l’horizon?

— Quand est-ce que je pourrais te conduire alors? Marie demande à Andrew, qui s’affiche maintenant sur le pare-brise.

— Cela dépend de quatre facteurs, Marie. Le premier: que le Nouveau Conseil de Sécurité fasse baisser l’âge de la conduite des véhicules autonomes à 13 ans au lieu de 16 actuellement.

— Ho! s’exclame Marie en se tournant vers moi. Tu peux conduire Faith! Veinarde! C’est quoi le second facteur?

— Que tu réussisses le test de conduite.

— Ça consiste en quoi?

— Il y a d’abord une évaluation psychologique: les personnes alcooliques ou sujettes à l’addiction de drogues interdites ne sont pas autorisées à contrôler un véhicule autonome. Est-ce que c’est votre cas Marie? taquine Andrew.

— Hélas oui, elle répond à ma grande surprise. Je suis accroc au piratage, et un jour je te piraterai Andrew, hé hé!

— Je pense que tu n’as rien à craindre alors, Ha, Ha! 

Marie m’offre immédiatement et pour la cent millième fois cette expression du visage: ‘’Est-ce qu’il me prend pour une nulle cet idiot?’’

Derrière, papa et maman écoutent, le sourire aux lèvres. La curiosité de Marie les amuse toujours, quand elle ne les ennuie pas. Ce qui est rare. Ils étaient ‘’en mission’’ avant même que le virus ne fasse son apparition, comme si le temps leur manquait déjà.

— Après l’évaluation psychologique, il y a l’examen théorique où tu apprends le code de la route, et comment fonctionne et se commande un véhicule autonome.

— Facile, répond Marie, confiante.

— Et le troisième facteur est le test en situation réelle.

— Cool. C’est quoi?

— Le conducteur est confronté à des situations stressantes et doit déterminer s’il a un meilleur jugement que le véhicule lui-même.

— Je vais te battre, Andrew! s’exclama Marie, toute joyeuse.

J’adore voir ma petite soeur heureuse, car c’est là qu’elle est la plus humaine, c’est là que je retrouve la gamine à qui je racontais des histoires pour l’aider à dormir quand papa et maman étaient trop fatigués, à qui je corrigeais les devoirs de classe quand papa et maman étaient… bref. Mais je ne peux pas lui en vouloir de me donner moins d’importance que Timothée. J’avais treize ans et Marie dix quand j’ai décidé de devenir activiste écologique à plein temps. Je savais que cela priverait Marie de la présence de son unique grande sœur. Elle n’avait que dix ans et je l’ai abandonnée. Pour elle, je l’ai sacrifiée. Elle n’avait que moi et personne d’autre à qui se confier; papa et maman étaient trop occupés. Alors quand Google Lab lui a offert un casque virtuel, c’est comme s’ils lui avaient offert un grand frère. Elle l’a rebaptisé Timothée Chalamet, le nom de son acteur préféré. 

« J’espère que vous êtes encore en vie monsieur Chalamet. Marie, ça la dévasterait Marie si vous ne l’étiez plus. Ne le prenez pas mal mais je vais continuer à me battre pour regagner mon statut légitime de grande soeur. Au fait!  J’aime aussi vos films, vous êtes cool je trouve »

— Où allons-nous, Ramaj? demande papa.

— Dans les collines de Bel Air.

« Bel Air? Ce n’est pas le coin des célébrités? »

— Bel Air? Ce n’est pas le coin des célébrités? demande maman.

— Exactement, répond fièrement Ramaj. Vous allez adorer la villa que je vous ai choisie, il rajoute, excité.

— Une villa? s’inquiète maman. Une maison aurait fait l’affaire.

— Elle est grande? demande Marie, plutôt ravie.

— Très grande.

— Piscine? elle demande.

— Et même jacuzzi! répond Ramaj en essayant de tempérer une excitation grandissante.

— Génial! s’écrie Marie.

— Marie! papa la sermonne. 

A juste raison: des milliers de gens meurent chaque jour, des parents, grands-parents, des maris, des épouses, des frères, des soeurs, des oncles, des tentes, des amis… et Marie se réjouit d’avoir un jacuzzi. J’aimerais lui en vouloir mais je ne peux pas. Elle a passé tellement de temps dans son monde virtuel qu’il est devenu sa réalité; et le vrai monde, celui des vraies relations humaines, une d’abstraction. Je ne lui en veux pas car au final elle n’est qu’une victime des industries de la tech. Cela a commencé il y a cinquante ans avec Facebook, puis Twitter, puis Instagram, puis le casque virtuel, la pire invention de l’humanité. J’étais sa confidente à Marie: aucun secret entre nous. Maintenant c’est Timothée. J’ai essayé à plusieurs reprises de lui faire prendre conscience que les relations humaines étaient plus importantes, que j’étais plus importante que Timothée, mais Timothée a gagné. Je n’ai pas abandonné le combat, je ronge mon frein et trouve des excuses pour la taquiner, la chatouiller, la serrer dans mes bras, l’embrasser, sentir sa peau, son parfum… J’aurais tellement voulu que Marie ai eu un petit frère, il l’aurait sauvée et elle aurait compris. Je ronge mon frein.

— Est-ce qu’elle a une pièce secrète? demande Marie-la-fouine.

— Heu.. je ne crois pas, hésite Ramaj.

— Andrew, je pensais que Bel Air était au Nord d’Hollywood, demande papa.

— Ça l’est, Daryl, répond Andrew.

— Et que tu connaissais tous les raccourcis.

— Je confirme, Daryl.

— Alors pourquoi j’ai l’impression que tu prends un détour?

— C’est un détour en terme de distance parcourue mais un raccourci en terme de durée de transport. 

— Ce trajet nous permet d’éviter les zones congestionnées de la ville, rajoute Ramaj.

— Et pourquoi sont-elles congestionnées?

— La ville doit construire le plus d’appartements possible le plus vite possible. Les camions de constructions sont partout, et à cause de cela, ralentissent la circulation.

— Je comprends, répond papa. 

Il regarde maman qui le regarde à son tour. Elle ne dit rien; lui non plus. Ok, ils communiquent des yeux. Combien de fois à table ils m’ont donné l’impression d’avoir comme parents des agents secrets!

— Andrew, on aimerait jeter un oeil sur ces constructions, dit maman poliment.

— Ce serait avec plaisir Rachel, mais je vous le déconseille. Faites-moi confiance, nous arriverons très bientôt.

— Nous apprécions ta bienveillance Andrew, mais on a besoin de voir comment les constructions avancent.

— Passer par le centre vous retardera énormément, avertit Ramaj, bizarrement plus inquiet qu’excité.

— Andrew n’aura qu’à rouler plus vite ensuite, dit papa.

— Malheureusement ma vitesse est limitée à 70km/h en ville.

— 150, rétorque papa, une pointe agacé.

« Ho Ho! Papa face à Andrew, l’Homme face à la Machine »

Andrew reste silencieux. Etonnant. 

Ramaj reste silencieux aussi. Etonnant.

— Désolé Daryl, ma vitesse est limitée à 70 km/h en ville et — 

— Protocole LK50, coupe papa.

— Protocole LK50 enclenché, répond Andrew, d’une toute autre voix. Veuillez entrer votre code d’identification.

Papa prend son smartphone sécurisé et tape un code.

— Authentification confirmée. Bonjour Daryl Martin. Ordre?

— Override.

— Degré?

— Fonctions 1 à 100.

— Override fonctions 1 à 100 confirmé. Ordre?

— Terminer.

— Le contrôle du véhicule a été transféré à Daryl Martin. Désirez-vous conserver Andrew comme interlocuteur?

Marie se tourne vers papa, le supplie du regard. Papa la regarde, réfléchit. Je sais pourquoi. Répondre NON reviendrait à ‘’tuer’’ Andrew. Andrew n’était qu’une succession de lignes de code mais sa voix chaleureuse, son humour et son intelligence le rendait plus humain que la majorité des humains. Papa a pris contrôle d’Andrew: je sais maintenant pourquoi les Google, Apple, Facebook, Microsoft et autres géants se battaient pour le recruter. Papa crée des entités virtuelles très sophistiquées si humanisées qu’on en oublie qu’elles ne sont que des programmes, des robots, des voitures, des trucs, des machins sans âmes. ‘’Cool’’. Combien de parents se sont retrouvés à l’hôpital pour avoir simplement tenté de confisquer à leurs enfants, et pour leur propre bien, un robot de compagnie ‘’intelligent’’, un casque virtuel ou même un smartphone? Pas cool. Et grâce à papa, un casque virtuel a maintenant pris ma place dans le coeur de ma petite soeur. Je le déteste.

— Oui, répond enfin papa. 

Marie sourit à Papa, il lui fait un clin d’oeil.

— Andrew?

— Je vous écoute, Daryl.

— Fais-nous passer par le centre ville s’il te plaît.

— A votre service.

*****

Le downtown de Los Angeles a bien changé en deux ans. C’était à se demander s’il y avait plus de dos d’ânes, de cratères et de routes  défoncées que d’habitants. Impossible de traverser LA sans déglinguer sa bagnole. Et c’était toujours sale. C’est pour ça qu’Hollywood existe: faire rêver les gens pour leur faire oublier les routes défoncées.  Et leurs bas salaires. Et les médicaments trop cher. Et le manque d’assurance maladie universelle.

Cela fait dix minutes qu’on roule et pas un seul dos d’âne ou de cratère jusqu’à présent. Les routes sont propres, silencieuses aussi et ne sentent plus les pots d’échappement. Voilà ce qui arrivent lorsqu’on bannit tous les véhicules non-électriques. Dommage qu’il ai fallu la pression de la fin du monde pour se bouger. Mes poumons vont mieux respirer maintenant, mais jusqu’à vingt-quatre ans. 

« Il y a beaucoup de navettes dis-donc! » Vraiment beaucoup. Et toutes autonomes. Tesla a bien travaillé, Audi aussi. Le gros problème avec les véhicules électriques autonomes, c’est les antennes 10G qui quadrillent les rues tous les dix mètres. Sans elles, pas d’auto-guidage ni de coordination en temps réel possible et donc pas de véhicules autonomes et pas de circulation sans accidents. Et pas d’explosion du cancer du cerveau aussi. Et des dérèglements hormonaux, de la baisse de la stérilité chez les hommes et les femmes. La faute aux portables dans les poches et sur l’oreille. Les médias évitent d’en parler vu qu’ils appartiennent à des groupes de télécommunication qui étouffent à coups de millions toute étude scientifique liant les ondes électromagnétiques à très hautes fréquences à l’explosion des cancers, leucémies et tant d’autres issues médicales. Vu que c’est eux aussi qui achètent de la pub qui paie les millions de dollars de salaires des présentateurs télé, les présentateurs la ferme.

J’ai manifesté contre le déploiement des antennes à très hautes fréquences pendant que papa développait leur technologie. Résultat: on ne se parlait pas souvent et quand ça arrivait, ça finissait régulièrement en dispute. Il me disait qu’un jour je comprendrais, comme si il y avait un grand dessein caché de tous et que lui seul comprenait, et maman. Elle, l’experte mondial en immunologie virologie, ne le contredisait jamais. Marie? Elle ne jurait que par la prochaine génération de wifi, qui ferait fonctionner Timothée plus vite. Se sentir seule dans sa propre maison, ça fait mal. Très mal.

« Bizarre ces maisons devant… »

— Ce sont des maisons 3D? demande Marie à Ramaj.

— Tout à fait! Chaque maison 3D est équipée des dernières technologies et 70% de l’énergie qu’elle consomme est renouvelable.

— Cool. Ça coûte combien?

— Zéro, c’est gratuit.

— Sérieusement? s’extasie Marie.

« Rien n’est gratuit Marie. »

— Sérieusement, confirme Ramaj, tout fier. Pour lutter contre la crise du logement, Google City à décidé de construire des milliers de logements 3D et de les offrir à ceux qui n’ont pas assez de revenus pour obtenir un crédit immobilier. 

— Prêter, pas ‘’offrir’’, je corrige. Google City se réserve le droit d’expulser n’importe qui et sans raison avec une notice de trois mois seulement. N’est-ce pas Ramaj?

— Heu… c’est pas aussi simple que ça, il bafouille.

— Ça l’est, j’insiste fermement.

— Une maison gratuite! Il doit y avoir un truc? demande Marie.

— Aucun truc, s’enorgueillit Ramaj.

— Si être espionnée 24h sur 24, 7 jours sur 7 ne te dérange pas Marie, alors oui, il n’y a aucun truc, j’ironise.

— Comment ça, espionnée? s’inquiète Marie, les yeux ronds.

— Si je puis me permettre, on ne peut pas vraiment appeler cela de l’espionnage, tempère Ramaj. 

— Vraiment? je rétorque en me retournant brutalement.

Je fusille Ramaj du regard, il se tourne vers papa, peut-être dans l’espoir qu’il lui vienne en aide. Mais d’un signe des mains, papa lui fait comprendre qu’il doit se démerder seul face à moi. 

— Marie! C’est qui pour toi Timothée? je demande.

— Mon meilleur ami! 

— Est-ce que tu lui racontes tout, à Timothée? 

— Tout! 

— Même des choses que tu ne me confierais jamais?

— SURTOUT des choses que je ne te confierai jamais.

— Donc, tu confies à Timothée des choses personnelles, tes secrets les plus intimes que personne d’autre au monde ne devrait connaître, c’est bien ça, Marie?

— Exactement! C’est ma vie privée.

— Exactement! TA vie privée, Marie. Alors laisse-moi te poser cette question: tu aurais accepté le casque si tu savais qu’en échange, Google aurait 1: accès à toutes tes conversations avec Timothée, à toutes vos données, et 2: se permettrait de les vendre à quiconque les voudrait? 

— Tu rigoles! Jamais de la vie! s’insurge Marie. Est-ce que tu veux dire que les maisons 3D espionnent les gens? 

Son innocence, sa naïveté me nouent l’estomac. Elle est si accroc à la technologie qu’elle ne sait même plus comment vivre sans. C’est là le problème: si un service est gratuit, c’est que vous êtes le produit. Et un produit, ça ne contrôle ni son utilisation, ni sa destiné.

— Ce n’est pas de l’espionnage si les gens sont consentants, argumente Ramaj. Leurs contrats expliquent tout, vraiment clairement, aucune entourloupe. Google est vraiment là pour les aider. Les gens prennent leur décision en tout connaissance de cause, et je pense qu’ils aimeraient qu’on respecte leur choix. 

— A-t-on vraiment le choix quand il y a 30% de chômage et qu’aucun boulot ne paie plus de 12 dollars de l’heure? A-t-on vraiment le choix quand les systèmes économiques, politiques et judiciaires d’un pays magouillent, gouvernement après gouvernement, pour transférer toujours plus d’argent et de pouvoir des moins riches aux plus riches. Au plus riches, le spradis fiscaux, au moins riches, l’enfer des impôts. 

« Ramaj n’a pas intérêt à répondre. Ramaj n’a pas intérêt à— » 

— Ce n’est pas aussi simple.

« Papa? »

— N’en veux pas personnellement à Ramaj, Faith, me dit papa.

« Parce que tu fais partie du système, papa! » je voudrais lui crier à la face.

— Ramaj n’a aucune maîtrise sur la situation du pays. J’aimerais te répondre, Faith, mais c’est très compliqué, crois-moi.

— Hé! C’est quoi tous ces longs camions blancs alignés les uns derrière les autres? interrompt Marie. Elle veut calmer les esprits; je l’aime. Mais je suis trop énervée; « Pardonne-moi Marie » car:

— Ce sont les camions frigorifiques qui transportent les morts.

— Faith! râle maman.

— C’est vrai maman? s’inquiète Marie.

— Voilà pourquoi je ne voulais éviter le centre, murmure Ramaj à papa.

Dans le rétroviseur, papa me fusille du regard. « Hors de question de baisser le mien. » J’ai raison et il sait que j’ai raison.

— Ecoute ma chérie, dit maman, comme tu as pu le constater, notre civilisation traverse un moment particulier, un moment unique de son histoire, et.. notre civilisation n’était pas prête, personne n’était prêt, ni notre pays ni aucun autre pays dans le monde. Même ton papa et moi ne sommes pas encore prêts pour être honnête avec vous. Toi et ta soeur allez voir et vivre des choses que vous n’étiez pas supposées voir et vivre à votre âge. C’est comme ça. Tu comprends?

— Oui, je comprends, rassure Marie, la voix douce. C’est… c’est des morts alors?

— Oui, répond papa. Malheureusement toi et ta sœur allaient continuer à en voir, beaucoup. Alors je vais vous demander toutes les deux d’être très fortes.

— C’est moi la plus forte, taquine Marie. 

L’humour et la dérision, c’est son moyen de cacher son émotion et de l’empêcher qu’elle la submerge. Ma petite sœur est plus fragile qu’elle ne croit et veut le faire croire. 

— Malheureusement, un jour viendra…

Papa s’arrête. Il baisse la tête, renifle… Instinctivement, je saisis la main de Marie.

— Un jour viendra où votre père et moi ne seront plus là.

— Maman! j’interviens. « Ce n’est pas le moment! » je la supplie du regard.

— Faith! C’est toi qui a ouvert la porte, papa me rappelle froidement. 

— Mais c’est dans longtemps, se rassure Marie, émue.

— Peut-être, peut-être pas ma chérie, répond maman. Avec un peu de chance, dans cinq ans.

— Mais sûrement plus tôt, ajoute papa.

— Stop! s’exclame Marie.

— Dans quelques années…

— STOP! crie Marie.

— ou dans quelques mois continue papa, cyniquement.

— STOP! j’ai dit, crie Marie, les larmes dans la voix. Vous n’allez pas mourir, je ne veux pas que vous mouriez! (Marie éclate en sanglots et bondit se réfugier dans les bras de maman) Personne ne va mourir, elle bafouille entre deux sanglots.

— Votre papa et moi vous aimons tellement, lui dit maman en lui caressant les cheveux. Vous êtes notre soleil, notre raison de vivre. Nous savons que vous êtes plus fortes et plus courageuses que tous les autres. C’est pour cela que votre papa devait vous rappeler la réalité, mon amour, même si elle fait mal. Et le plus tôt tu l’accepteras, le plus tôt tu te protégeras émotionnellement. (Maman se tourne vers moi) Faith, je compte sur toi pour protéger ta petite sœur.

— C’est moi qui vais la protéger, taquine Marie.

Je l’aime tant ma petite sœur. Je tuerais pour la protéger.

Maman lui embrasse le crâne.

— Je peux rester dans tes bras? Marie murmure à maman.

— Aussi longtemps que tu le veux ma chérie.

Papa me regarde. Ses yeux rougis brillent mais son regard est doux, chaleureux. Il décoche un léger sourire, je décoche un léger sourire. D’un mouvement du menton en direction du siège conducteur qu’à abandonné Marie, il me demande s’il peut s’y installer. D’un haussement d’épaule je répond: ‘’Comme tu veux’’.

Papa quitte son siège, pose ses mains sur le crâne de Marie, lui dépose un baiser, chuchote « Je t’aime » puis me rejoint devant.

Il fixe la route, ne dit rien. Je fixe la route, ne dit rien non plus. Il fixe la route, me tend la main. Je fixe la route, ne lui prends pas la main.

Devant, les camions dessinent une interminable ligne qui se fond avec l’horizon, guidés par des fumées noires… Papa rétracte sa main.

A SUIVRE…

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