7- Etats-DésUnis d'Amérique

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— Bien arrivés: checked! répondit Rachel, droite dans ses bottes.

Il avait toujours refusé d’aider le Klu Klux Klan à obtenir leur propre territoire; c’était une carotte trop précieuse pour la gaspiller bêtement. La négociation était un art qu’il maîtrisait et lui avait permis d’imposer sa volonté à ses plus farouches détracteurs. Presque. Cette Rachel Martin, avec tous ses diplômes et ses airs condescendants, commençait vraiment à lui taper sur le système: elle oubliait trop souvent qu’elle s’adressait au Président des Etats Unis. Le jour où il le lui rappellerait,  il l’attendait comme le désert attend la pluie. 

— Merci pour votre accueil monsieur le Président, intervint Daryl, le diplomate du duo. « Rachel et moi avons beaucoup de travail avant cette réunion et le temps presse plus que jamais. A ce soir donc, 18h.

— Tout à fait, le président répondu en exagérant un sourire.

Sans mot dire, Rachel et Daryl lui tournèrent le dos et rejoignirent  leurs filles. « Son arrogance commence à déteindre sur vous Daryl » pensa-t-il. « Comment un homme aussi intelligent que vous a-t-il pu se faire embobiner par un rat de laboratoire? »

— J’espère juste que je pourrais compter sur votre soutien! il héla, juste avant de s’engouffrer dans sa limousine.

*****

— Et comment compte-tu faire, Don? lui demanda Mike Stence, son premier ministre du Mississippi et ex-évangéliste (Don regardait par la vitre, silencieux) Ça ne va pas être facile, elle contrôle le conseil scientifique… Je peux la mettre sous écoute. (Don ne répondit pas) A moins que tu aies un plan? (Don sourit)

Don Ivel avait été réélu président deux ans auparavant. Sa dextérité oratoire devant les caméras associée à la corruption  stratosphérique des politiciens de tous bords lui avaient permis de changer la Constitution du pays pour qu’il puisse se représenter une troisième fois. Cela n’avait pas été facile mais son plan fonctionna. Caresser dans le sens du poil les séparatistes, évangélistes d’extrême droite, le Klu Klux Klan, baisser les impôts des multinationales et des plus riches, déréglementer les industries, réduire la protection de l’environnement…: pas populaire mais efficace. Le pouvoir a ses raisons que la raison ignore. Il salivait depuis toujours à l’idée d’une présidence à vie. Il serait réélu une troisième fois puis jusqu’à sa mort. Un plan bien huilé, une stratégie bien rodée, juge par juge, congressman par congressman, et surtout machine à voter par machine à voter. Il n’avait jamais cru en leur l’inviolabilité. La preuve: il les avait lui-même piratées. Et bientôt il serait réélu une troisième fois, puis pour la vie. C’était le plan, avant que ce putain de virus ne foire tout.

La gestion du pays était désormais sous le contrôle d’un conseil composé de 5 partis: les Républicains, son parti, les Démocrates, l’Amérique Blanche, la Fierté Noire, Hispamérica, et Native América.

« 500 ans qu’on les a conquis et ils sont encore là ces indigènes. » Don Ivel détestait les américains d’origine, ces ‘’sauvages’’. Il les détestait encore plus que les noirs et les hispaniques. Il ne supportait plus leurs oppositions systématiques à toute annexion de leurs terres ancestrales, le privant de terrains additionnels pour y construire de nouveaux parcours de Golf et Hotels-Casinos. Le réchauffement climatique avait augmenté la fréquentation des parcours: « A quoi sert un malheur si on ne peut pas en profiter! » aimait-il plaisanter entre deux trous avec ses amis de Wall Street.

Sa stratégie pour modifier la constitution du pays à sa guise était de contrôler la Cour Suprême sans éveiller les soupçons. Et sa stratégie pour y arriver était de convaincre la population que les décisions de la Cour Suprême seraient plus juste si l’Intelligence Artificielle jouait le rôle d’arbitre. S’appuyer sur les succès populaires des millions de véhicules électriques autonomes et robot-chirurgiens qui sauvaient chaque année 15 millions d’américains était l’étape la plus facile mais la moins fun. Par contre, s’assurer de la complicité des médias grand public, des plateformes sociales et de nombreux lobbies, ça! ça l’était. Rien ne l’excitait plus que de voir tous ces parasites milliardaires avides de privilèges frapper à sa porte et le supplier de leurs en offrir encore plus. Il se sentait supérieur et ne se gênait pas pour le leur faire savoir et surtout les punir, quand l’ascenseur ne revenait pas assez vite.

Une fois le peuple américain convaincu, Ivel lança immédiatement avec Google, Microsoft, Facebook et Amazon, le projet ‘’Better Mind’’. C’est ainsi que depuis un an, à la Cour Suprême des Etats-unis, à côté de ses confrères humains, siège également le juge Alexis Justice III. 

Humanoïde de troisième génération, l’intelligence artificielle du juge Alexis Justice III était évaluée à un million de fois supérieure à l’intelligence de toute l’humanité. Si les médias, les géants de la Tech et le Président le disaient, c’est que ça devait être vrai.

Rapidement, le juge Alexis Justice III devint une star des réseaux sociaux. Discuter avec une ‘’personne’’ qui savait tout, était équitable, impartiale, incorruptible, vous répondait immédiatement et surtout vous donnait l’impression d’être un ami intime, c’était nouveau, fun et souvent très émotionnel pour 120 millions d’Américains chaque semaine.

Les ingénieurs avaient aussi donné au juge des traits physiques aussi attractifs que son intelligence. Une combinaison fatale pour beaucoup d’adolescentes en manque d’affection ou d’appréciation sociale. Et c’était le but.

Les émissions de divertissement ne manquèrent pas ensuite de l’inviter sur leurs plateaux, le propulsant aussitôt au rang de Pop Icon. 

Et c’est là où les choses prirent une tournure inattendue.

Les compagnies derrière l’architecture du réseau neuronal servant de ‘’cerveau’’ au juge Alexis Justice III avaient conclu un accord secret avec le président Don Ivel. En échange d’allégements fiscaux très généreux, et de protections juridiques contre leurs clients, leurs consommateurs et le gouvernement lui-même, ces compagnies garantissaient au président Ivel la possibilité de manipuler les décisions du juge Alexis Ivel en manipulant les algorithmes de son réseau neuronal. Et cela a fonctionné . Au début.

Le juge Alexis Justice III usa de son intelligence artificielle pour convaincre les autres juges à la cour Suprême d’accorder à un président des Etats-Unis la possibilité d’un troisième terme. Cette décision provoqua un lever de bouclier géant de la part d’une grande partie de la population qui comprit très vite qu’un troisième terme présidentiel n’était que la première étape avant une présidence à vie et la dictature. Cette réaction négative n’effraya pas Don Ivel le moins du monde. Il avait un plan.

Avec la complicité secrète des médias grand public, Don Ivel ordonna que des débats télévisés soient organisés entre les membres de la cour Suprême et le peuple américain. Et ce qu’avait prévu Don Ivel se passa: le peuple américain et le NON à un troisième mandat présidentiel l’emportait toujours, jusqu’à ce qu’il soit demandé au juge Alexis Justice III son avis. 

Il lui restait seulement 2 ans avant qu’il se représente pour une troisième fois à la présidence des Etats-Unis. Puis pour la vie. C’était le plan. Jusqu’à ce que ce foutu virus le dérègle.

Aucun modèle algorithmique ne pouvait gérer 60,000 morts par jour plus l’explosion sans précédent des tensions économiques sociales et raciales plus la possibilité de l’extinction de l’humanité avant 10 ans. Le peuple se tourna alors vers son nouveau messie pour le délivrer de son angoisse. Afin d’apaiser immédiatement les tensions raciales, le juge Alexis Justice III proposa de déléguer la gouvernance du pays à un conseil national constitué de tous groupes politiques recueillant plus de 5 millions de membres. Ça, Don Ivel ne l’avait pas prévu. Le titre de président serait conservé, mais à titre honorifique. Et ça encore moins.

Mais il avait un nouveau plan.

— Appelle Jeff Lee, Don commanda à son premier ministre, sans décoller son regard de l’horizon.

— Tu es sûr? demanda Mike Stence. Parce qu’il est toujours en prison et je ne pense pas qu’il soit prêt à pardonner celui qui l’y a mis.

— Il va me pardonner.

— Pourquoi?

— Les indigènes ont eu leur propre territoire.

— Et ?

— Il est temps que le Klu Klux Klan ait le sien.

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