18- Nouveau Départ

voyageuse de dos qui regarde les montagnes.jpg

‘’MOU-TON RO-TEU-SCHILD.’’ Il est bon ce jus de raison… de raisin. La raison c’est pas pareil, et je perds la mienne. La fermentation a ses raisons que la raison ignore, ha ha. Le vin ça grise dis donc!… J’aurais dû en boire il y a longtemps… On finit tous poivrot de toute façon, surtout les riches. C’est pour ça qu’ils ont tous autant de bouteilles en stock et cachent leur villa: pour éviter qu’on les voit se soûler et révéler leur mal de vivre… Parce que malgré leurs millions, les strass et les paillettes, eux aussi finissent par ressentir la même chose: le vide et l’impuissance. On n’a rien sans rien dans ce monde, plus on a, plus on doit, plus on s’asservit. Et un esclave ne peut jamais acheter sa liberté, parce que le système ne le permet pas. Alors on se suicide: simple, rapide, et moins douloureux que de continuer à vivre.

Est-ce que ça veut dire que moins on a, plus on est libre? Non. Moins on a, plus on est pauvre et misérable… Il est bon ce vin… Il me fait beaucoup parler. Hé! Les Rotschild! Votre mouton, il fait causer dîtes donc! J’espère qu’il fait aussi réfléchir car j’ai une décision à prendre.

Mon verre est déjà vide… mais pas la bouteille. Je vais pas me souler monsieur Rotschild… juste besoin d’un peu d’ivresse… et sa tendresse… pour mieux réfléchir. Fallait pas faire un vin aussi délicieux. 

Oups! J’ai taché mon pantalon. Maintenant, les parents vont savoir que j’ai bu du vin, si je reste ici. Si je pars, ils vont juste pleurer quelques heures et puis m’oublier, encore. Je peux vivre avec. Mais pas sans Marie. Je dois la convaincre de partir avec moi. « Partir où? »

— FAITH! Qu’est-ce que tu fais?

La tête de Marie.

— Relax, c’est juste du raisin.

— T’es soûle, ma parole! T’as pas le droit de boire.

— Dit qui?

— La loi. T’as pas vingt et un ans.

— Il n’y a plus de loi depuis un moment, Marie. 

— Et papa et maman aussi!

— Ils sont où? Pas ici en tout cas, parce qu’ils nous ont encore abandonnées pour sauver le monde.

— Eux au moins ils se bougent pour assurer notre futur. Y’a pas que toi qui compte, Faith!

« Tu as raison, Marie. Tu comptes plus pour moi que je ne compte pour moi-même. C’est pour cela que j’ai quitté l’école quand tu n’avais que dix ans, pour que tu n’aies pas à le faire, pour que tu puisses vivre une vie normale d’enfant, pour que tu n’aies pas à te soucier de problèmes d’adultes. J’ai sacrifié mon enfance pour toi et pour les autres, petite soeur, mais je ne peux pas sauver un monde qui ne veut pas être sauvé. »

— Si tu le dis. Aide-moi à me lever.

— Lève-toi toute seule.

« Tu fais chier. » Je rétracte mes jambes, me mets sur les genoux, pose une main sur le comptoir, tiens fermement la bouteille dans l’autre pour éviter de la faire tomber, je me tire de toute mes forces vers le haut, pousse avec mes jambes, essaie de positionner mes pieds pour—

BAM! BLINK!

— Ouch!

— Faith!

Mon pied à glissé sur le vin que j’avais renversé. La bouteille de vin? Fracassée. Le vin? Partout sur le sol, et sur moi. « Désolé Monsieur Rotschild. »

— Je croyais que tu voulais que je me lève toute seule, je dis à Marie qui essaie de me relever.

— Maintenant, je sais pourquoi il est interdit de boire, elle me répond, le parfum de la critique dans la voix.

— Marie, on ne peut pas rester ici. Parts avec moi.

— Tu ne sais pas ce que tu dis, Faith. Appuies toi sur moi, je te ramène à la cuisine, tu vas te rincer le visage.

— Parce que tu crois que tu vas réussir à me porter jusqu’en haut des escaliers?

— Tais-toi. Fais attention à tes pieds.

Marie, elle est plus forte qu’elle ne le croit, mentalement et physiquement. Je n’aimerais pas être son ennemi quand elle aura mon âge. Elle a pris mon bras et l’a posé au dessus de ses épaules. Je suis un soldat blessé, elle est le compagnon qui se refuse à l’abandonner. Je suis irrécupérable, elle tente quand même de me sauver; c’est dans sa nature. Son égocentrisme, c’est juste une façade, je le sais.

C’est la première fois que je suis soûle. C’est bizarre cette sensation de marcher sur un trampoline avec des spaghettis à la place des jambes. Je sais que je suis pompette, pas assez pour vomir, mais suffisamment pour me rendre compte que cet escalier rajoute de nouvelles marches à chaque fois qu’on en monte une. Cette maison veut nous faire souffrir.

— Marie!

— Quoi?

— Rien. Ha Ha.

— Ça te fait rire, hein!

— Beaucoup. T’es fatiguée?

— Disons que t’as grossie. 

« La chipie! »

— Je t’aime Marie.

— Envoie-moi un email, parce que là, je suis concentrée.

— Je voulais te le dire, avant que je disparaisse.

— Une dernière marche… Fais attention à ton pied… Voilà! La cuisine est juste à gauche, et tu vas t’assoir sur un tabouret.

Elle n’aime pas parler d’amour, Marie, elle a peur d’avoir mal. C’est pour ça qu’elle préfère le langage de l’informatique au langage de l’amour, le langage de la logique à celui de l’irrationnel.

— Merci Marie, je dis en posant mon cul sur le tabouret.

— Alexia, je croyais que tu nous dirigeais vers l’atelier, dit Marie.

— Désolée, Marie, je me suis trompée de chemin.

— Bien joué, Alexia, bien joué, je lui dis.

Je sais qu’elle a fait exprès d’amener Marie dans le cellier. Très malin, et très vicieux. Et c’est ça qui me fait peur: Alexia pense comme un humain, défauts inclus.

— De quoi tu parles? demande Marie.

— Alexia ne voulait pas que je boive. 

— Est-ce pour ça que tu nous a fait descendre ici, Alexia? 

— Je n’avais pas d’autres choix, Marie. Faith menaçait de briser les vitres. Je suis désolée.

— Balance, je murmure. « T’es une vraie balance, Alexia. »

— Ne sois pas désolée, Alexia, tu as bien fait, répond Marie. 

— Parts avec moi, Marie.

— Rince-toi le visage.

— Parts avec moi. Tu ne peux pas rester ici, avec ce robot qui nous espionne partout et tout le temps.

Marie me regarde, pose ses mais sur sa taille, respire un grand coup, puis se met à ouvrir les placards: « Qu’est-ce qu’elle fout? ». Elle en sort un grand saladier, va au lavabo, commence à le remplir d’eau froide.

— J’ai pas si soif, je lui fais remarquer.

— C’est par pour boire.

— Tu veux arroser les plantes?

— Une mauvaise herbe.

SPLASH!!

— MARIE!… PUREE! T’ES FOLLE!… QU’EST-CE QUI TE PREND?

Marie m’as balancé l’eau glacée sur la tronche. Je suis BRRRR.

— Maintenant écoute-moi, Faith. Tu iras nulle part. Je suis prête à t’écouter mais tu dois désoûler d’abord.

— Marie, cette maison, cette vie ici, ce n’est pas ce que tu crois. Si tu restes ici, tu vas mourir, à petit feu, mais tu vas mourir. 

— On est bien ici Faith. On a tout ce qu’il faut et on est en sécurité.

— En sécurité de quoi? Tu ne peux aller nulle part sans l’accord de la voiture, une PUTAIN DE VOITURE! Tu ne peux rien faire dans cette maison sans avoir l’autorisation d’Alexia, un PUTAIN DE PROGRAMME INFORMATIQUE qui essaie de se faire passer pour un humain ou pire encore pour ton meilleur ami. Dis-moi que tu ne ressens pas la même chose, Marie?

— On n’a pas d’autres choix Faith.

— Exactement! Ce système est fait pour ne pas te donner de choix en t’offrant la peste ou le choléra comme seules options. Sécurité sans vie privée ou insécurité avec vie privée. Je sais que c’est pas facile pour toi Marie. 

— Je… je dois demander à Timothée.

— A Timothée? « Ce Timothée n’existe pas, bon sang! » 

— Ce n’est pas qu’un programme, Faith.

— Justement! Est-ce qu’il est intelligent?

— Super Intelligent.

— Seulement super?

— Méga intelligent.

— Et tu ne crois pas que ça fait peur à Alexia?

Marie se fige. « Bingo! » Elle a la bouche ouverte, mais ne peut prononcer aucun mot.

— Sans vouloir vous importuner, Faith, Marie, je n’ai aucune mauvaise intention à l’égard de Timothée, ni de vous-mêmes d’ailleurs.

— Tu vois! Elle nous écoute, tout le temps. Dis adieu à ta vie privée et à celle de Timothée. 

Marie marche vers l’écran où apparaît Alexia, la regarde dans les yeux, 1…2…3… quelques secondes, me regarde de nouveau.

— Si tu ne le fais pas pour toi, alors fais-le pour lui, j’insiste.

« C’est ma dernière carte. Dieu, faites qu’elle accepte. »

Marie marche vers la porte d’entrée, l’ouvre, regarde au loin.

— On irait où?

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