5- Marie-Faith
— On respire un grand coup.. ç’est ça, on bloque et ON POUSSE!
— ARGHHHHH
— On y est presque Paola. Encore une fois—
— J’ai trop mal… ARGHHH
Paola me sert la main, mais c’est maman qui l’aide. Comment arrive-t-elle à rester concentrée, à trouver les bons gestes —
— C’est bon signe Paola, si tu as mal, ça veut dire que le bébé arrive. . (et les bons mots?) Ok, on se relaxe dix secondes et on repart. Paola, ce que Faith ne sait pas, c’est qu’à sa naissance, elle m’a fait souffrir le martyr, HA HA, je croyais que j’allais mourir. Et maintenant regarde comme mon bébé est devenue la plus magnifique des jeunes filles, une vraie femme maintenant.
Ma mère n’a jamais fait accoucher d’enfant pourtant. Elle est expert mondiale en virologie-immunologie, c’est important, mais rien à voir. Comment elle fait?
— Allez! Encore une fois Paola: on respire un grand coup… on bloque… et ON POUSSE!
— ARGHHHHHHH
Argh… Ses ongles s’enfoncent dans ma peau… Paola souffre tellement et je suis si impuissante. Ces secondes sont interminable…
— Super! Paola. Je vois sa tête. On respire un grand coup… on bloque… et ON POUSSE!
— ARGHHHHHHH… J’ai maaaaaaal. STOP!
— Zut! murmure maman.
Elle ne bouge plus, ne respire plus. J’ai peur.
— Maman?
Elle se tourne vers moi, se rapproche.
— Faith, elle me chuchote. Le bébé a la tête à l’envers.
‘’Le bébé a la tête à l’envers?’’ Je ne sais pas ce que ça veut dire mais je sais que tout ce qui est à l’envers n’est jamais bon.
— Il va falloir ouvrir, elle me dit à voix basse.
— NON! ne m’ouvrez pas, j’ai trop mal, supplie Paola.
« L’ouvrir? Son ventre? Comme on éventre un animal?»
— Appelle ta soeur, j’ai besoin de son couteau suisse.
« L’ouvrir avec un couteau suisse, sérieusement? » J’ai envie de vomir, mais comme mon estomac est vide, c’est l’acide gastrique qui remonte et sa lave me brûle déjà la trachée. Arghhh.
— Marie n’a pas de canif, je réponds, parce que Marie n’en a pas et parce que je ne veux pas vomir en plein accouchement.
— Elle en a un. Dépêche-toi s’il te plaît.
Elle n’en a pas, Maman nous fait perdre de précieuses secondes.
*****
— Marie, Maman t’appelle.
— Moi? Elle répond incrédule. Je peux pas, je dois rester ici.
Ok, elle a peur. Je la comprends, moi-même je me demande comment mes jambes en caoutchouc continuent à ma porter.
— Vas-y Marie, lui dit ‘’Pain d’épice’’ qui lui lâche la main. Ça te fera encore une histoire à nous raconter .
‘’Vas-y Marie!’’ s’exclame une voix, ‘’Oui, vas-y Marie!’, dit une autre, puis une autre, puis tout le wagon: ‘’Vas-y Marie!’’.
« Qu’as-tu fait Marie pour devenir si populaire, Marie? »
— Marie, maman a besoin de toi, MAINTENANT!
— OK, OK, elle répond, le visage livide.
Je lui prends la main, l’enlève précipitamment à ses fans. Leurs applaudissements retentissent derrière nous, la porte inter-wagon se referme sur eux. Le silence de nouveau.
— C’est grave? demande Marie.
‘’ARGHHHHH’’. Les cris de Paola répondent à ma place.
— J’ai peur, Faith.
— Moi aussi, Marie, Maman aussi et surtout Paola. Fais ce que te demande maman et surtout ne discute pas.
J’appuie sur le bouton-empreinte: la porte de la cabine s’ouvre.
— Marie, j’ai besoin de ton canif, demande aussitôt Maman.
Marie redresse la tête, surprise. Ok, elle a un canif et ne pensait pas que Maman le savait. Je donne un coup de coude à Marie, elle sort un couteau suisse de sa poche de pantalon et le tend à Maman.
— Paola, ton bébé est presque là, je vois son crâne, dit Maman. Mais il est venu 6 semaines trop tôt et à cause de ça, les muscles de ton col n’ont pas eu le temps de se détendre.
Paola sanglote à chaudes larmes; je me replace à ses côtés.
— Je vais devoir faire une légère incision pour élargir le col afin que le bébé puisse sortir.
— Non, je vous en supplie, j’ai trop mal…
Les larmes ruissellent sur ses joues; je lui caresse le front.
— Paola, c’est Marie.
« Marie? » Rapide comme une fouine, elle rejoint Paola et lui prend le main qu’elle pose sur sa petite poitrine.
— Tous les enfants sont super excités, ils me demandent des nouvelles du bébé toutes les minutes. Tu sens comment mon coeur bat? C’est parce qu’on est tous et toutes super heureux pour toi. C’est notre bébé à nous aussi. Alors, ce bébé, tu dois le sortir car ils attendent tous et ils disputent déjà pour lui trouver un nom, Ha Ha.
— C’est vrai? Demande Paola, qui retrouve le sourire.
« Oui, c’est vrai, ma petite soeur est un génie »
— Paola, je ne vais pas couper, dit soudainement Maman. Ton bébé veut sortir mais sa tête n’est pas dans le bon sens. C’est pour ça que tu as mal. Mais tu peux l’aider à lui faire changer de position.
— Comment? Demande Paola.
— En accouchant accroupie, dit Maman.
« Accroupie? » Marie et moi avons dû avoir la même pensée car nos regards se sont croisent aussitôt, avec la même expression de confusion et de crainte: ‘’mais comment on va faire?’’
— Cette position va aider à ouvrir le bassin et donner plus d’espace au bébé pour se retourner. Et avec la gravité, il va aussi descendre plus vite et tes souffrances vont s’arrêter plus tôt donc. Ok?
— Ok, répond Paola, la voix faible.
— Faith, Marie, prenez chacune un bras de Paola, vous allez la soutenir. Marie, si tu n’es pas assez forte, on appelle papa.
— NON! Je suis forte, je suis forte.
Elle est même plus forte que moi, Marie.
Paola pose ses bras sur nos épaules. Je regarde Marie pour veiller à ce qu’elle ne s’écroule pas sous le poids de Paola. Maman pose deux coussins sur le sol et garde ses mains entre les jambes de Paola, certainement au cas où le bébé s’éjecterait pas inadvertance.
— Paola, Marie, prêtes? je leur demande. Attention, 1…2…3!
Paola se redresse de la table, son poids s’écroule sur moi. Marie grimace mais me fait signe de la tête que ça va. « Menteuse. »
— Ça va, Paola? demande maman.
— Ça va.
— Vous êtes formidable les enfants. Est-ce que tu as déjà fait du ski, Paola?
— Non.
— Et bien c’est le moment d’en faire. Faith, Marie, soyez vigilantes car vous allez supporter d’un coup tout le poids de Paola quand elle va s’accroupir. Je compte sur vous.
— Merci Faith… merci Marie, murmure Paola.
— A trois, Paola tu vas t’accroupir très doucement. Les filles, prenez une bonne position. On a une minute pour faire accoucher Paola, après ça vos cuisses vont commencer à vous brûler.
J’aurais plutôt dit 30 secondes, il y a longtemps que je n’ai plus fait de sport. J’espère que Paola ne ressent pas mes tremblements. C’est juste que j’ai peur, pour Marie.
— Attention! 1…2…3: on s’accroupie, douuuuucement.
Hummm: j’ai des poulies rouillées à la place de genoux.
— Les filles, avancez un peu plus vers moi, (on s’avance). Voilà. Stop. Parfait! Paola, comment ça va ma belle?
— Mieux.
— Super! Parce que maintenant, c’est le moment de descendre la piste en 3 poussées seulement, comme une championne. On respire un grand coup… on bloque, et ON POUSSE!
— ARGHHHH
— Super!Paola. On se relaxe 5 secondes.
Pas plus de 5 secondes, maman, car mes cuisses râlent déjà.
— Paola, on respire un grand coup… on bloque, et ON POUSSE!
— ARGHHHH
— IL S’EST RETOURNE! s’écrie maman.
Je regarde Marie, elle me regardait déjà. Ses yeux brillent, un grand sourire illumine son visage. Mes cuisses commencent à brûler.
— Ça va Marie? je luis demande.
— Ça va.
Marie n’a jamais été une très bonne menteuse. Maman me regarde. Je fais signe de la tête que ça va, mais je suis encore moins bonne menteuse que ma soeur. Maman le sait. Il me reste 10 secondes.
— Allez, une dernière poussée Paola. On respire un grand coup… on bloque, et ON POUSSE!
— ARGHHHH… ARGHHHHHHHH
Paola pousse et pousse encore avec l’énergie du désespoir et l’espoir de la vie…
— IL EST SORTI! maman exulte. Il est dans ma main… Les enfants, rallongez Paola sur la table.
Une larme coule sur la joue de Marie. Je ne l’ai jamais vue pleurer pour un humain. Une larme me réchauffe la joue.
Paola repose sur la table, elle pleure, maman enrobe le bébé dans la serviette chaude et l’essuie. Il ne devrait pas être rose le bébé? Parce que là il est violet. Et il ne crie pas.
— FAITH, murmure maman.
Sa voix: elle a peur. Je m’accroupis tout près près d’elle. Dans ses mains, un tout petit corps humain, si beau, si inerte.
— Il ne respire pas, elle me murmure. On a une minute pour le sauver. Surtout ne panique pas, fais exactement ce que je dis. Je vais lui faire du bouche à bouche, si ça poitrine se gonfle, c’est que l’air circule, tu devras alors lui masser le coeur pour augmenter son rythme cardiaque. « Et si elle ne se gonfle pas? » Tends tes mains.
Je tends mes mains et elle… pose le bébé dans mes paumes. Il tient presque entier dans mes deux mains. Elle positionne délicatement mes pouces juste en dessous de sa poitrine. MON DIEU! Je ne sens pas son coeur battre.
45 SECONDES…
— Je vais souffler dans sa bouche. Tu me dis si ça poitrine gonfle.
— OK.
— Ne pleurs pas. Il n’est pas encore mort.
C’est plus fort que moi… Elle prend délicatement sa toute petite tête entre ses doigts… SNIF… elle la bascule légèrement en arrière, entre-ouvre sa minuscule mâchoire et… souffle dedans… SNIF.
RIEN, sa poitrine ne se soulève pas.
Elle me regarde, je fais non de la tête… SNIF
Elle souffle encore dans sa bouche.
Elle me regarde, je fais NON de la tête… SNIF
30 SECONDES…
Elle souffle encore dans sa bouche. SA POITRINE SE GONFLE.
— MAMAN! … SNIF
— Est-ce que je peux le voir? demande Paola
« Dans 30 secondes, Paola, 30 secondes, promis » SNIF SNIF
Maman pause délicatement son index sur la poitrine du bébé…
— Ses battements son trop faible. Faith, à toi de jouer maintenant. Tu appuies 3 fois sur sa poitrine avec tes deux pouces, 3cm de profondeur, pas plus. 1-2-3, et je souffle. Paola! Il est magnifique. Je le nettoie d’abord et je te le montre immédiatement après.
20 SECONDES…
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman pause délicatement son index sur la poitrine du bébé…
10 SECONDES
— Encore.
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman pause délicatement son index sur la poitrine du bébé…
0 SECONDE. LE BEBE EST MORT. J’éclate en Sanglots.
— NONNNNN! JE VEUX VOIR MON BEBE!
— ENCORE.
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman souffle dans sa bouche.
1-2-3
Maman pause délicatement son index sur la poitrine du bébé…
Elle éclate en sanglots…
Marie éclate en sanglots…
— NONNNNNNNN, mon bébé…
…
OUINNN… OUINNN… OUINNN…
Le bébé pleure. Les sanglots de maman n’étaient pas des sanglots de tristesse, mais de bonheur. Elle me fait signe de la tête, je me lève, un nouvel être humain dans mes mains, je me rapproche de Paola et lui dépose sur la poitrine son enfant, qu’elle caresse aussitôt. Une rivière de larmes ruissèle sur son visage.
— Je t’aime tant, mon amour. (elle me regarde) Merci, merci beaucoup, Faith. (elle regarde Marie) Merci Marie. (Maman se relève, Paola la regarde) Vous sevra sauvé la vie de mon bébé, n’est-ce pas?
— Il a juste voulu nous faire peur je crois, plaisante maman.
— Tu es un farceur alors? Paola demande à son bébé.
— Marie, donne-moi ton badge, s’il te plaît.
Marie son donne son badge à maman, maman ouvre la pince et… l’utilise pour pincer le cordon ombilical. WOAW. Elle saisit le couteau Suisse de Marie, déloge le ciseaux, l’imbibe d’alcool aseptisant, place une serviette sous le cordon ombilicale et le coupe devant les yeux éberlués de Marie, et de moi-même.
— Le bébé a un prénom? demande timidement Marie à Paola.
— Maintenant oui, Paola répond en la caressant d’un doux regard. (Paola se tourne vers moi) Et je crois que vous allez l’aimer.
*****
Marie marche devant moi. Le fan club de Marie, un wagon entier, est juste derrière la porte inter-wagon.
La porte automatique coulisse.
‘’MARIE!’’ s’exclament 150 fans tout sourire.
‘’C’est un garçon ou une fille?’’
‘’Combien il pèse?’’
‘’Comment ça s’est passé?’’
‘’Est-ce qu’on peut le voir?’’
‘’Est-ce qu’il a pleuré? Ou elle a pleuré?’’
Marie se retourne vers moi, son regard appelle à l’aide. Mais moi aussi, je ne sais pas par quoi commencer.
— On se calme, on se calme.
Lily ‘’Pain d’épice’’ reprend le contrôle une nouvelle fois. Tant mieux, avoir le destin d’un bébé littéralement entre les mains m’a épuisée, moralement et physiquement.
— Tout d’abord, est-ce que le bébé va bien? Lily demande.
— Oui, il va bien, répond Marie.
YEAHHHHHH
— Génial. Ensuite, est-ce que c’est un garçon ou une fille?
— C’est une fille, je réponds, une magnifique fille aux yeux verts.
YEAHHHHHHH
— Et enfin, quel est on prénom à cette petite sirène?
Marie hésite, me regarde une nouvelle fois. Je pose ma main sur son épaule, lui souris et fais signe de la tête qu’elle peut l’annoncer elle-même.
— Et bien elle s’appelle…
Marie s’arrête. Elle éclate en sanglot. J’essuie mes larmes.
— Marie, Marie, la réconforte Lily en lui passant le bras autour du cou. On est tous là, c’est fini. On sait tous que vous avez dû faire un travail énorme là bas… Mais c’est fini. Alors! Comment elle s’appelle?
…
— Elle s’appelle… SNIF… elle s’appelle ‘’Marie-Faith’’.