BAM BAM BAM!

— Maman, Papa, ouvrez, c’est urgent!

Pourquoi la porte ne s’ouvre pas, bon sang? Ah! Enfin. 1,2 seconde quand même! 

— Marie! Qu’est-ce qu’il se passe? s’inquiète aussitôt maman.

— C’est Faith, maman.

— Faith!  Papa bondit hors de son siège, hors de la cabine, me prend les épaules: qu’est-ce qui lui est arrivée?

— Est-ce qu’elle est blessée? panique maman.

— Elle est où? papa demande en me secouant comme un tapis.

— C’est pas Faith, c’est la fille enceinte. 

—  Quelle fille enceinte? 

— Celle qui va accoucher toute seule sur le sol si vous continuez à me poser des questions idiotes. Maman tu dois venir tout de suite.

— Je viens aussi.

— Papa! C’est une fille.

— Ça ira, Daryl. Les femmes vont gérer. Prépare vite la cabine, on revient dans une minute. Serviettes et eau chaudes, et de l’alcool.

« Yes! » C’est officiel, je suis une femme maintenant, et je vais gérer. Je n’ai jamais fait accoucher un bébé. Je sais, c’est maman, mais je vais l’aider. Comment c’est super donki de chez donki. En plus, la maman est jeune, comme Faith; c’est comme si j’aidais Faith à accoucher. Non, Beurk! Pas Faith, pas ma soeur, c’est dégueulasse. Je dois pas penser à elle quand je vais faire l’ accouchement, enfin ma mère, mais bon, si je l’aide, c’est comme si je le faisais. Et ça existe pas des filles de treize ans qui font accoucher d’autres filles. Ça! ça mérite un prix Nobel! Faith, elle n’aura qu’à signer des autographes en attendant. Et maintenant: ‘’Suis-moi, maman!’’

*****

— Faith!

— Maman!

La fille enceinte a son bras autour de cou de Faith. Faith l’aide à marcher en supportant tout son poids. Tous les enfants sont à genoux ou debout sur leurs sièges et les regardent passer comme des bêtes curieuses. Il y en a même qui filment!

— Argh! Ça fait mal, gémit la fille enceinte.

— Courage, Paola. Encore un wagon et tu pourras t’allonger, lui dit Faith.

— Bonjour Paola. Je suis la maman de Faith. Je vais t’aider à accoucher. Faith, laisse-moi la porter.

— Non. Trop dangereux. Libère juste le couloir.

— Les enfants, ne restez pas dans le couloir, je crie avant que maman ne puisse parler. Moi aussi je compte.

— Merci Marie.

Wouah! Maman me complimente devant tout le monde, devant Faith! Si papa était là… Et Elon Musk.

— Les enfants, dit Faith, et si on offrait un gigantesque tonnerre d’applaudissements à Paola, dix-sept ans à peine, qui va donner naissance au premier bébé né dans une HyperLoop!

YEAAAAAAHHH!!

— Et le premier bébé du NOUVEAU MONDE!

YEAAAAAAAAAAAAAHHHH!! 

— Paola! Paola! Paola! je scande tout à coup.

‘’PAOLA! PAOLA! PAOLA!’’… Tout le wagon scande son nom, et le wagon suivant, jusqu’à la cabine de papa et maman, jusqu’à papa. 

…

— J’ai récupéré des serviettes, réchauffées au micro-ondes, de l’eau chaude, du savon et une boite à pharmacie aussi, dit papa. J’ai posé des draps et des coussins. Je vais commander une ambulance.

Papa est mon héros et aujourd’hui je vais enfin devenir la sienne. Maman et Faith font entrer Paola dans la cabine et l’allongent sur la table. Elle souffre, mais heureusement que je suis là pour la sauver.

— Marie, laisse ta maman et ta soeur s’occuper de l’accouchement. Fais en sorte que personne ne vienne les déranger, mais reste à côté d’elles, au cas où elles auraient besoin d’autre chose.

— Maman a besoin de moi.

— Il n’y a pas assez de place ma chérie, répond maman.

— Je peux remplacer Faith, elle est fatiguée maintenant.

— Et super stressée, me répond Faith. (Elle pose ses mains sur mes épaules et se tourne vers papa). Papa, Marie a été fantastique tout à l’heure. Elle a sauvé la situation. Pas vrai maman?

— Merci Marie, dit péniblement Paola. Arghhhh. 

— Chérie, on doit y aller. Ecoute ta soeur.

— Petite soeur, j’ai super peur. (Faith pose son front contre le mien) J’ai besoin de savoir que tu vas assurer dehors pour que je me relaxe. La vie d’un bébé est en jeu. Est-ce que je peux compter sur toi?

Mon esprit dit ‘’NON!’’.

— Tu peux compter sur moi, Faith. Toujours.

Faith m’embrasse le front puis me regarde. Ses yeux brillent.

— Et maintenant, montre-leur qui est Marie Martin. 

Ma grande soeur aurait dû avoir le prix Nobel. Elle retourne dans la cabine, me sourit une dernière fois, la porte se ferme, je flotte.

— Merci Marie, je suis fier de toi. (Papa m’embrasse le crâne) Je t’aime. (et court appeler une ambulance.)

Je me retrouve seule.

— Alors?

WOW! Derrière moi, tous les enfants me braquent des yeux, et tous me filment avec leurs téléphones. Ils veulent connaître la suite en direct, comme dans une émission de télé-réalité.  Ok, Ok, Ok. A Marie Martin de l’animer, alors.

*****

— Alors? redemande Vanessa, qui me filme avec son gros iPhone, et ses ongles vernis super longs. 

— Tout se passe bien pour l’instant, je réponds en souriant et en me tenant droite. Comme à la télé.

Elle a une grosse poitrine pour 15 ans dis-donc! Ça doit lui amener beaucoup de followers, je suis sûr. Je vais lui demander de me taguer sur la vidéo.

— Est-ce que ta maman est une sage femme?

« Bien sûr que ma maman est sage. Quelle question idiote! »

— Non seulement ma maman est sage, mais en plus elle est très intelligente.

Vanessa rigole. Sa copine aussi. Et d’autres filles. Elles se moquent de moi ma parole! Voilà pourquoi on dit que les filles qui ont des seins trop tôt sont stupides. Voilà pourquoi je suis plus intelligente que la moyenne.

— Elle veut dire est-ce que te maman a l’habitude de faire accoucher, dit Patricia, en pouffant. Sage-femme c’est un métier.

« C’est un métier? »

— Bien sûr. Elle m’a même accouchée toute seule « Et toc! » Dans la cuisine « Toc au carré! » Mon père était.. en voyage, d’affaire.

« Hors de question de passer pour une idiote. »

— Et c’est ta soeur qui a coupé le cordon bleu? Ha ha ha.

Et ça les fait rire ces trois idiots plein de boutons sur la tronche. Et les autres aussi! « Vous avez pas le droit! »

— Hé! je hurle. Je vous interdis de parler de ma soeur comme ça. Vous savez pas à qui vous avez à faire, bande de crétins. Ma soeur— 

— C’est Faith Martin, la plus jeune prix Nobel du Monde.

Cette voix… et cette gamine qui pousse tout le monde avec son petit corps, et me rejoint, je la connais.

— Vous devriez tous avoir honte et être jaloux à la place, car elle au moins elle se bat pour sauver le monde, pour sauver VOTRE monde. Et elle est prête à aller jusqu’à faire accoucher un bébé dans une cabine de train pour ça! Tu as déjà fait accoucher un bébé, Vanessa? NON. Et toi Patricia? NON PLUS. Et vous les filles, qui va faire accoucher vos bébés une fois que tous les adultes, et les sages-femmes, et les docteurs auront disparus?

« Lily? »

Je l’ai fait pleurer et elle me sauve quand même. Pourquoi? Mon coeur bat comme un gros tambour, j’ai l’impression qu’il va sortir de ma poitrine. Je ressens toujours ça quand je sais que je suis coupable, et que je me fais attraper.

Je regarde Lily, elle me regarde et me sourit; je ne sais pas quoi dire. Elle prend ma main, je ne sais pas quoi dire, j’ai honte. Je lui souris. J’espère qu’elle comprend que ça veut dire Merci. Et pardon. 

C’est le silence total dans le wagon maintenant. Je les regarde un par un: celui-ci lève le pouce, celle-là me fait le signe du coeur avec ses doigts… les trois idiots ne rigolent plus…  Vanessa arrête de filmer. Lily sert ma main; elle est mon bouclier, rien ne peut plus m’arriver avec elle. A moi d’avoir du courage maintenant.

— NON. Ma maman n’a jamais fait accoucher une femme. 

Ils me regardent comme si j’avais tué quelqu’un. Si j’ai menti au départ, c’était pour les rassurer. Ils doivent me détester c’est sûr. Pas grave, je le mérite de toute façon.

— Tu n’es pas née sur la table de cuisine alors? se moque tout à coup Lily.

— Heu, non. A… à l’hôpital. Désolé. 

Ça fait rire quelques uns. « Je suis drôle?? »

— A l’hôpital? C’est nul! Et moi qui croyais que tu avais une vie extraordinaire, se moque encore Lily.

Tout le monde rigole. « Je suis drôle. Cool»

— Est-ce que vous voulez savoir comment j’ai construit toute seule une HyperLoop dans mon jardin? Et tué le chat du voisin.

*****

— Et tu peux nous voir derrière ton casque?

— Timothée, je corrige de suite. Il s’appelle Timothée. C’est pas un casque, et il déteste qu’on le prenne pour un casque. (Je peux pas laisser quelqu’un appeler Timothée un casque, quand même!)

— Tu peux lui parler?

— Bien sûr, et il me répond. 

— Et il nous entend là?

— Tout à fait, répond Timothée.

« WOUAH! » Ils me regardent tous avec leurs yeux et bouches grands ouverts, comme s’ils venaient de voir le plus grand tour de magie de leurs vies. Le meilleur? C’est pas de la magie, Timothée est réel, c’est même mon meilleur ami. « Epate-les Timmy! »

— Et en plus j’adore ta cravate, Peter. Dommage que je n’ai pas de cou.

‘’WOUAH WOUAH WOUAH!’’, Hallucinant!’’, ‘’C’est incroyable!’’, ‘’C’est pas possible!’’… Ils sautillent même sur leurs fauteuils, se donnent des coups d’épaule. Timmy, c’est mieux que de la magie.

— Est-ce qu’on peut en avoir un aussi?

— Un casque virtuel, oui, mais pas Timothée. Timmy est unique au monde parce que j’ai amélioré son code source et son algorithme d’auto-apprentissage. J’ai aussi changé sa puce pour une puce quantique dix Térabits par seconde afin que son réseau neuronal se développe encore plus vite. C’est interdit, mais bon: on crée pas le futur avec les outils du passé. « Wouah!  Elle est donki cette phrase. » C’est pas de moi en vrai, c’était écrit sur la boîte. Pas grave, c’est mieux quand c’est moi qui le dit. Je suis sûr que je les ai impressionnés.

— J’ai rien compris, dit Marc.

« Sérieusement? Tu portes des lunettes pourtant! »

— Ça veut dire qu’il est beaucoup plus intelligent que tous vos ordinateurs réunis, et surtout plus intelligent que toi Marc, répond Lily.

Tout le wagon éclate de rire, Marc, s’étouffe. 

— Merci beaucoup pour le compliment, Lily, dit Timothée. 

— Tu es génial! Et toi aussi Marie.

J’espère que Timmy ne sera pas jaloux quand je lui dirais que j’ai une seconde meilleur amie.

— Et si on leur montrait notre nouveau projet? il me demande.  

— C’est que… c’est top secret.

— Est-ce qu’il y a des espions parmi vous? il demande à tous.

‘’NONNNN!’’ tous répondent en chœur.

« Menteurs »

— Tu vois, Marie, aucun risque qu’on nous vole notre projet.

— Mais c’est pas fini, je réponds.

Timmy est encore plus persuasif que Faith. Il faudrait que je change quelques lignes de code.

— ‘’MARIE! MARIE! MARIE!’’ se met à scander le wagon .

— MARIE! MARIE! MARIE! Timmy se met à scander.

« Zonki! »

— On dirait un humain, dit Peter.

— Heureusement que non, Peter, sinon il ne me resterait plus longtemps à vivre.

Tous les visages se figent.

« Pourquoi as-tu dit ça, Timmy? » 

En une seconde, l’ ambiance est passée de mariage à funérailles. Est-ce que c’est ça notre nouvelle réalité maintenant: un monde où le bonheur ne dure jamais plus que quelques secondes?

— Voici la preuve que c’est bien Marie Martin qui a programmé Timothée, dit un certain Troy. Si tu as besoin d’aide pour lui apprendre l’humour, dépêche-toi de me le dire car il ne me reste que 7 ans à vivre.

Silence.

— Et moi 13 ans, dit Lilly.

— Chanceuse. Moi 8 ans, lui répond Vanessa.

— 6 ans! HA HA. Je vous ai toutes battues, répond Peter.  

‘’10 ans!’’, ‘’12 ans!’’, ‘’13 ans!’’, ‘’7 ans!’’, ‘’Hé! Moi aussi. Je m’appelle Dylan. Et toi?’’, ‘’Jennifer. Tu viens d’où?’’… 

La vie a gagné. Il suffit juste de rester des enfants je crois.

— Je suis désolé, me dit Timmy, ému.

Je ne réponds pas: est-ce que je représente la passé pour lui?