Kamal Lahmadi

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11- Ramaj

Elle avait beau essayer de rester concentrée sur sa mission, elle n’y arrivait pas: derrière chaque portail qu’Andrew dépassait, habitait soit une célébrité d’Hollywood, soit un milliardaire. Elle n’avait rien contre les célébrités d’Hollywood, par contre elle détestait les milliardaires.

‘’Personne ne peut créer un milliard. On PREND un milliard!’’ avait déclaré Alexandria Ocasio-Cortez, la plus jeune congresswoman et la première présidente de l’histoire des Etats-Unis (2036-2044). Rachel avait dévoré sa biographie en moins de 24h quand elle n’était qu’une jeune étudiante en science surdouée de 18 ans. L’histoire personnelle d’’’AOC’’, ses combats, ses victoires, et surtout ses valeurs morales, avaient aidé Rachel à réaliser l’importance de sa propre existence dans ce monde de plus en plus chaotique et à comprendre qu’elle pouvait soit le subir soit le contrôler. Double doctorat avec mention ‘’Excellent’’ et deux thèses devenues des best-sellers chez les étudiants en sciences à moins de vingt quatre ans: Rachel Martin était prête à tous les efforts qui la conduiraient à marquer ce monde. 

Mais plus que de marquer ce monde, elle avait dû le sauver une première fois en stoppant ‘’Endgame’’. Certes, l’espérance de vie humaine sera réduite à 24 ans dans cinq ans mais au moins les enfants étaient saufs. Et maintenant, elle devait s’assurer qu’ils survivent: le gouvernement des Etats-Unis l’avait chargée de moderniser et robotiser tous les hôpitaux, toute la chaîne de production de vaccins et de s’assurer que suffisamment d’enfants soient formés docteurs, chirurgiens, infirmiers et sage-femmes avant que tous les docteurs, chirurgiens, infirmiers et sage-femmes adultes ne meurent tous, elle y compris.

— Ce matin vous avez deux réunions et le tour des hôpitaux à effectuer, Rachel, dit Ramaj, enlevant Rachel à ses pensées. Le conseil sanitaire à 10h, le conseil alimentaire à 11h et la visite de cinq hôpitaux entre midi et 15h.

— C’est tout? taquina Daryl.

— Je trouve que c’est déjà beaucoup, objecta Ramaj, qui n’avait visiblement pas compris l’humour. Je peux enlever deux hôpitaux si vous le désirez, Rachel.

— Non, ça ira Ramaj. Mettez-moi en contact avec Justine Cuban, mon assistante, s’il vous plaît. 929.381.881.069

— Tout de suite.

Ramaj tapota sur sa tablette, transformant les grandes portes vitrées en écran géant. Le numéro de téléphone se composa en grand et l’appel se lança.

BIP…BIP…BIP…

— Bonjour Rachel, comment allez-vous? demanda Justine Cuban, aussitôt que son visage apparut. 

— Je vais bien, merci. Où en sommes-nous, Justine? 

— Les bonnes nouvelles d’abord. Sur les six hôpitaux que vous avez sélectionnés, quatre ont accepté de suivre votre plan de modernisation et de vous céder total contrôle décisionnel. Les deux autres refusent pour l’instant, mais je suis sûr que votre présence physique leur fera changer d’avis. Autre bonne nouvelle: 98% des vaccins connus peuvent désormais être fabriqués aux USA. Les laboratoires ont  ‘’enfin’’ accepté de faire passer l’intérêt public avant leurs intérêts privés.

— Jamais trop tard, ironisa Rachel. 

Les laboratoires ne faisaient pas acte de charité, c’est juste il n’y avait plus de profits à faire en période de fin du monde. Le board des directeurs millionnaires et les actionnaires s’y étaient opposé au départ. Puis ils ont commencé à mourir, un par une, puis deux par deux, puis cinquante par cinquante… jusqu’à ce qu’il n’y a plus personne pour s’opposer à la morale, au bon sens commun et surtout nationalisation.

— Dernière bonne nouvelle: Tesla-Grid et Google-Green ont validé votre projet de construire les cent méga-fermes verticales automatisées et durables qui nourriront tout Los Angeles. Ils vous attendent pour finaliser le projet.

— Parfait! Les mauvaises nouvelles?

— Deux mauvaises nouvelles: il y a de plus en plus de docteurs, chirurgiens et de personnel médical qui veulent passer le reste de leur temps à vivre avec leur famille. 

— Une raison particulière à cela?

— Je ne sais pas si c’est à cause de cela, mais j’ai noté une forte augmentation de la présence des évangélistes en télé, en radio et sur les réseaux sociaux et ils menacent les adultes d’aller en Enfer s’ils ne passaient pas leur derniers instants avec leurs familles.

— Il va falloir accélérer la formation des enfants, dit Rachel. Préparez-moi une liste de tous les chirurgiens et docteurs qui veulent honorer leur serment d’Hippocrate jusqu’au bout. Si on n’en a pas assez, on est dans la merde. Et la seconde mauvaise nouvelle?

— Je… Je ne sais pas comment vous le dire, mais mon fiancé veut que nous passions le peu de jours qu’il nous reste ensemble.

— Ha, s’étonna Rachel, surprise.

— Tant qu’on ne sait pas quand on va mourir, et comme on meurt un mois seulement après les premiers symptômes…

— Il montre déjà les symptômes? s’inquiéta Rachel.

— Pas encore. Mais je ne veux pas regretter de ne pas avoir  passé plus de temps avec lui si j’apprenais qu’il n’avait plus qu’un mois à vivre. Et il pense la même chose pour moi. Je suis sûr que vous comprenez, Rachel.

— Je comprends. Et vous comptez ‘’partir’’ quand, Justine?

— Demain.

— Ha.

Rachel ne s’attendait pas à cette mauvaise nouvelle et encore mois à ce qu’un assistant à un poste clé la quitte du jour au lendemain. Elle n’avait jamais perdu d’assistants de toute sa vie. Au contraire, les étudiants du monde entier se battaient pour faire parti de ses ‘’disciples’’. Pouvait-elle en vouloir à Justine de ne pas sacrifier le peu de temps qu’il lui restait à vivre avec l’homme de sa vie pour le bien de tous, à un âge aussi jeune? Elle préféra ne pas la juger car ‘’qui a pêché ne peut opposer amour et vertu.’’ 

— Je vous ai déjà préparé une liste de dix assistants extrêmement compétents parmi deux cents candidatures. Ils sont prêt à commencer dès votre accord.

— Merci Justine.

— Merci à vous Rachel. Et je voulais vous dire que même si notre collaboration a été courte et virtuelle, cela a été un honneur pour moi de vous assister. Sans vous, le pays serait vraiment dans… la merde., excusez-moi l’expression.

— J’apprécie, Justine. Merci également pour votre aide. Faisons en sorte que ce premier et dernier jour soit exceptionnel.

— Promis. On se voit dans quelques minutes alors.

— Avec plaisir.

L’image du Justine s’évanouit, laissant transparaître de nouveau la route. Rachel baissa la tête, croisa les bras, se caressa le menton, encore et encore… puis les muscles de sa mâchoire se crispèrent.

— Ça va? demanda Daryl.

— La routine, répondit Rachel en lui offrant un petit sourire rassurant, mais pas convaincant.

— Arrivée à l’hôpital Universitaire dans cinq minutes, annonça Ramaj, un grand sourire au travers du visage.

« Il essaie de me réchauffer le coeur » pensa Rachel.

— Quel âge avez-vous Ramaj? elle demanda.

— 26 ans.

— Ne voulez-vous pas rester avec votre famille également?

— Mes parents sont âgés et vont mourir heureux. Je leur rends hommage en me rendant utile pour l’humanité.

— Est-ce que vous avez une ou un bien-aimé?

— Oui. Sofia.

— Ne voulez-vous pas rester près d’elle?

— Je le suis. Elle est avec moi tout le temps. Elle est avec nous en ce moment même, et elle est très fière de moi.

Rachel fronça les sourcils. Ramaj lui sourit. Elle compris.

— Je suis désolée.

— Je suis désolé, je ne savais pas, dit Daryl.

— Ne le soyez pas, elle ne voudrait pas que vous le soyez. Je voudrais juste vous dire docteur Daryl Martin, à quel point je suis heureux de vous assister. Je vous connais aussi docteur Rachel Martin, mais ne suis pas aussi familier avec vos travaux que ceux de votre mari. 

— Je suis déçue, dit Rachel. Qu’avez-vous osé préférer au monde merveilleux de l’immunologie-virologie?

— Mon Doctorat portait sur l’Intelligence Artificielle et ma thèse sur l’émergence proche d’une conscience au sein de l’Artificielle Intelligence, ses bienfaits et ses dangers pour l’Humanité

— Conclusions? demanda Rachel, en croisant ses jambes.

— Ramaj pense que l’Intelligence Artificielle a déjà pris conscience, intervint Daryl, qu’elle cache son jeu en attendant le moment propice pour transformer les humains en exclaves, voire les détruire.

— Vraiment? demanda Rachel, la curiosité piquée à vif.

— Je ne fais que reporter un futur inévitable, dit Ramaj.

— Ok, tempéra Rachel. Daryl, je compte sur toi pour le changer, alors, car je te rappelle que nous avons a deux filles.

— J’y travaille tous les jours. 

— Master en Intelligence Artificielle: comment avez-vous terminé assistant de mon mari, si je puis me permettre? Rachel demanda. Même si je reconnais le génie de mon mari, elle rajouta, taquine. Vous devriez être en train de travailler dans un laboratoire, pour assurer la relève.

— Je suis d’accord, mais je ne contrôle pas les critères de sélection.

— Qui sont? demanda Rachel.

— Votre nom de famille ou la fortune de vos parents.

Rachel respira un grand coup. Elle détestait le népotisme et celui-ci s’était dramatiquement accru depuis que le chômage avait atteint  le niveau record de 25% de la population active. 

— Même avec votre doctorat? s’insurgea Rachel.

— Tant qu’il existera des personnes pour qui John Smith inspirera plus confiance que Ramaj Palihapitiya, il y aura des victimes. 

— Je peux arranger ça, Ramaj, dit Daryl.

— Je sais et c’est très gentil à vous Daryl. Mais je vais vous demander humblement de n’en rien faire. Si j’avais eu un poste à la hauteur de mon talent, je n’aurais pas eu l’honneur de vous assister Daryl. Je crois intimement en mon destin, rien n’arrive par hasard.

— Rachel, vous voici arrivée à l’Hôpital Universitaire de Los Angeles, annonça Andrew. Je vais annoncer votre arrivée à Justine.

— Merci, Andrew. Ramaj, ce fut un plaisir de discuter avec vous.

— Le plaisir est profondément partagé Rachel. Vous auriez pu passer le reste de vos jours aux côtés de vos filles et de Daryl, mais vous avez décidé de sauver ce monde. Alors, au nom de l’humanité, merci.

— J’apprécie beaucoup. A ce soir au conseil d’état, elle dit à Daryl.

Rachel sortit du véhicule, marcha quelques pas en direction de l’entrée de l’hôpital où Justine l’attendait, puis s’arrêta, pensive.

TOC TOC TOC!

Andrew ouvrit sa grande porte vitrée à Rachel.

— Avez-vous oublié quelque chose? demanda Ramaj.

— Oui, de te remercier, dit Rachel.

— Pour? Ramaj s’étonna.

— La maison, elle est parfaite.

— Mais vous ne l’avez pas visitée, il répondit, comme s’il considérait ne pas mériter ce remerciement.

— Je te fais confiance.

Rachel lui offrit un dernier sourire puis reprit sa marche vers l’hôpital.